Une signature neuronale pour les 4 teintes de base, dites élémentaires

Une signature neuronale pour les 4 teintes de base, dites élémentaires

La signature neuronale 

Depuis le 17 siècle est évoquée l’idée de l’existence de 4 couleurs simples, dites pures. Léonard de Vinci déclarait par exemple que la nature contient six couleurs simples, de base : Rouge, jaune, vert et bleu (plus noir et blanc, achromatiques). Au 19ème siècle, c’est Ewald Hering qui imagine, que notre perception des couleurs ne peut se construire qu’au travers de 4 couleurs de bases, appelées parfois pures (ce qui créé une confusion avec la notion de matières colorantes). Au XXème siècle, l’idée est devenue modèles, aussi bien avec le système NCS et ses 4 couleurs élémentaires, qu’avec le système de colorimétrie CIE76 basée sur la théorie des paires opposées. Ce n’est encore que plus récemment que la physiologie est venue confirmer l’existence de réponses antagonistes au travers de l’analyse des voies visuelles.

Il n’y aurait que 4 couleurs élémentaires (Rouge, vert, Jaune, bleu) au sens d’éléments chromatiques fondamentaux (ajoutons le blanc et noir, comme éléments achromatiques fondamentaux) et ainsi toutes les autres tonalités chromatiques sont perçues comme des mélanges de ces 4 tonalités chromatiques de base.

Cependant, les recherches scientifiques n’ont pas encore fourni de preuves solides de ce fonctionnement neuronal et nous voilà plongé au cœur d’infinis débats fondamentaux qui sont abordés tant par la psychologie que par les neurosciences, la linguistique mais aussi la philosophie.

C’est cette réponse que tente d’apporter, ces travaux de recherche de l’université de Sussex au Royaume Uni où ont été mesuré des potentiels événementiels obtenu à partir de teintes fondamentales uniques et de teintes mettant en œuvre un mélange de teintes fondamentales.

On retrouve une signature neuronale des teintes fondamentales 230 ms après le début du stimulus à un stade post-perceptuel du traitement visuel. Spécifiquement, la composante P2 postérieure sur le lobe pariéto-occipital a culminé significativement plus tôt pour la teinte fondamentale que pour les teintes issues du mélange de 2 fondamentales. (Z = −2,9, p = 0,004).

L’étude

L’étude vise à révéler une représentation neuronale des teintes fondamentales en mesurant l’humain, au travers de potentiels liés aux événements (ERP = event-related potential) suscités en réponse à huit teintes différentes : les quatre teintes dites fondamentales (rouge, vert, bleu, jaune) et les quatre teintes dites intermédiaires (orange, vert-jaune, turquoise et violet).

Les ERP sont des formes d’onde d’activité neuronale qui sont enregistrées à partir d’électrodes placées sur le cuir chevelu et qui sont verrouillés dans le temps sur un événement, tel qu’une couleur affichée. L’ERP est la réponse cérébrale mesurée qui est le résultat direct d’un événement sensoriel, cognitif ou moteur spécifique. Plus formellement, il s’agit de toute réponse électrophysiologique stéréotypée à un stimulus.

Figure 1. Emplacement et variabilité des teintes fondamentales et intermédiaires des participants dans un espace perceptif des couleurs

Sans aucune hypothèse a priori sur le moment exact où une signature neuronale des teintes fondamentales se produiraient pendant le traitement visuel, a donc été analysé plusieurs composants ERP visuels (P1, antérieur N1 et postérieur P2) qui sont déclenchés à différents moments de l’apparition de la couleur.

Résultats

Un marqueur neuronal des teintes uniques dans les latences P2 postérieures. (A) et (B) Activité neuronale en moyenne sur neuf canaux situés sur le cortex visuel extrastrié. Les quatre teintes uniques de rouge (Re), jaune (Ye), vert (Gr) et bleu (Bl) sont indiquées par du noir uni les frontières. Les quatre teintes intermédiaires d’orange (Or), de vert-jaune (Li), de turquoise (Te) et de violet (Pu) n’ont pas de bordures. Pour chaque observateur, les teintes uniques tombent à l’intérieur d’une ellipse la mieux adaptée (ligne noire pointillée) montrant qu’elles ont toutes culminé plus tôt que prévu pour leur emplacement dans l’espace de chromaticité. Les flèches soulignent que les teintes uniques tombent à l’intérieur et les teintes intermédiaires à l’extérieur de l’ellipse. (D) Résidus moyens du groupe des positions de chaque teinte à partir de l’ellipse la mieux adaptée pour la latence de pic P2 postérieure (les barres pour les teintes uniques ont bordures noires). (E) Formes d’onde ERP moyennes de l’électrode Oz, un canal médian représentatif situé au-dessus de la lobe occipital sélectionné ici pour illustrer l’effet. Les formes d’onde ERP sont moyennées pour les teintes uniques (ligne continue) et l’intermédiaire teintes (ligne pointillée).

Discussion

Le concept de teintes fondamentales a une longue histoire et la question de leur existence est importante pour la science des couleurs et pour des débats plus larges en linguistique, philosophie et neurosciences.

Est rapporté dans cette étude une signature neuronale des teintes fondamentales qui existent 230 ms après la présentation d’une couleur. L’effet est fort : les quatre teintes fondamentales ont suscité une latence de pic P2 postérieure plus précoce que les quatre teintes intermédiaires. Nous ne trouvons aucune indication d’un marqueur neural pour les teintes fondamentales dans les composants antérieurs (c’est-à-dire le P1 et le N1 antérieur).

On pense que la composante P2 reflète les processus « post-perceptuels », venant plus tard que la composante P1 et la phase précoce. Composants N1, dont on pense qu’ils reflètent les processus générés par le système visuel précoce. Le postérieur P2 a été associé à une gamme de processus cognitifs visuels, y compris l’attention, l’ambiguïté du stimulus, la perception apprentissage, mémoire de travail, détectabilité des stimuli, intégration des contours et traitement du langage.

L’origine des teintes fondamentales a été mystérieuse. Ils ne sont pas codés à un niveau rétino-géniculé précoce de traitement visuel, et ici nous ne trouvons aucune corrélation significative autour des 100 premières ms après la présentation d’une couleur dans le composants ERP sensoriels précoces P1 et phase précoce N1.

Réflexions

Les résultats sont cohérents avec une représentation neuronale ultérieure. Mais qu’est-ce qui pourrait faire que les teintes fondamentales soient ainsi singulières?

Sont-elles câblées ainsi, ce qui pourrait leur conférer un consensus interculturel ? L’hypothèse de la saillance perceptive favoriserait une approche environnementale à l’origine des teintes fondamentales, qui seraient alors intériorisées génétiquement ou ontogénétiquement ?

Certains ont proposé que les spectres de réflectance correspondant à des teintes fondamentales génèrent plus de signaux de couleur fiables compte tenu des variations d’éclairage.

Alternativement, l’environnement social plutôt que physique peut conférer aux teintes fondamentales un statut particulier par consensus linguistique et culturel. Et pour les chercheurs de la cognition, l’existence des teintes élémentaires peut être appliquée à la question whorfienne (Hypothèse Sapir-Whorf) de la relation entre le langage et cognition.

Dans tous les cas, ce marqueur neuronal des teintes fondamentales, pourrait être maintenant utilisé pour éclairer et faire progresser ces questions importantes et non résolues dans les sciences cognitives.

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